Il est fréquent de lire que la philosophie de F. H. Bradley a été négligée, et que cette situation relève du paradoxe dans la mesure où il était considéré comme un auteur philosophique majeur de son vivant. De façon similaire, l’idéalisme, qui a dominé la sphère philosophique britannique pendant le dernier tiers du XIXe siècle, est souvent présenté comme un phénomène étrange dans un pays où l’empirisme, comme l’opinion commune s’accorde à le dire, constitue la tradition philosophique majeure. L’explication couramment retenue est que l’idéalisme et l’œuvre de Bradley n’ont été que des transitions, préparant l’éclosion de la philosophie de Bertrand Russell et de l’empirisme logique au début du XXe siècle. Cette explication est insuffisante. Elle ignore l’importance du retour à la spéculation métaphysique de la philosophie anglaise pendant tout le XIXe siècle et elle masque les circonstances qui l’ont accompagné. Une réévaluation a été menée en Angleterre depuis les années 1980, et la publication récente des inédits de Bradley et de sa correspondance apporte des indications fort utiles sur l’essor de l’idéalisme au moment où Bradley a entrepris ses études de philosophie. La forme caractéristique de l’idéalisme britannique pendant la période victorienne tardive, le néo-hégélianisme, est le fruit d’un bouleversement philosophique initié au début du siècle par les romantiques sur fond d’essoufflement des philosophies britanniques de l’époque. Il est aussi au programme d’un cénacle idéaliste officieux constitué à Oxford à la fin des années 1860 autour de T. H. Green, dont Bradley a été le fer de lance. En outre, ce mouvement idéaliste n’a pas suivi à la lettre le système hégélien : il a également puisé dans un fonds platonicien autochtone qui en a été en quelque sorte le substrat vital. C’est ce que confirme l’évolution même de la philosophie de Bradley pendant ses années de formation.